Le moine copiste
(Par Nathan ROHRLICH, Thibaud DOMINGON et Claude ELOLO-LOUMINGOU)
Moine copiste, quelle monotone profession pense-t-on ! Cependant l'aventure qui m'est arrivé n'est guère commune. Tout d'abord, il faut savoir que je vis dans un monastère isolé dont je suis le seul occupant. Je ne connais que cet environnement car on m'y a mis très jeune, je ne vois plus ma famille qui partie pour Milan il y a plusieurs années et depuis n'ai plus de contact humain. L'unique vision du monde que j'ai est l'épaisse forêt de pins qui entoure mon habitat.
Au milieu de l'an 1554, je transcrivais donc le texte suprême : la Bible. En recopiant un texte décrivant la vie de Jésus, je m'aperçus que la partie déjà réécrite était différente dans les deux versets. Surpris, je crus à un erreur de ma part, je décidai alors de recommencer ce chapitre. Le lendemain, je m’aperçus qu'il s'y trouvait les mêmes défauts. Les jours passèrent et je recopiais encore ces erreurs. Ma peur grandissait d'autant plus que des taches apparaissaient sur le livre.
Je décidais alors de changer de support. Malheureusement, les taches et les fautes réapparaissaient chaque jour. Je me croyais fou, je voyais des ombres au coin des murs et la nuit j'entendais des bruits mystérieux. Un soir, mon épouvante fut telle que je faillis quitter le monastère juste vêtu d'une toge. L'encrier et la plume m’importunait aussi, je dus donc en changer plusieurs fois. Au début, je présumai qu'ils étaient de basse qualité. Puis me vint le doute que mon livre pouvait intervenir sur le comportement de mes objets. Ce livre sacré qui troublait mes nuits, je ne pouvais m'empêcher d'y penser, il me rendait fou. Passant mes journées à remplir ses trop nombreuses pages blanches.
Le lendemain aspirant à un travail abouti, je n'apercevais qu'une œuvre inachevée, remplie de ratures et de fautes inimaginables de ma part. Tombant de mon bureau et se déchirant à maintes reprises, cet ouvrage transmettant la foi me semblait démoniaque, il veut me faire peur, me faire souffrir. Difficile à dire d'un livre que j’idolâtre, cette œuvre était probablement possédée. J’étais saisis d'appréhension chaque fois que je devais retourner à mon ouvrage. J'avais une peur bleue que la page se déchire à chaque faux mouvement de ma part. Ce livre semblait me traquer, c'était son objectif, je vous le dis, il me suivait du regard : ces pages se tournaient à mon passage. Il savait que j'avais peur et il voulait me terrifier. J'avais peur d'être fou, à force de vivre reclus de la société et sans aucun véritable contact social. J'arrivais à l'espérer, être fou était peut-être la meilleur solution, après tout, qu'est-ce qu'être fou ? Ne sommes-nous pas anormal par rapport à quelqu'un. Alors, tout seul, je ne peux être différent.
Une mauvaise matinée de mars, j'entendis un bruit lointain et confus. Souhaitant m'approcher de sa source, je sorti lentement de mon lit, fatigué par ces étranges manifestations. Je marchais tranquillement et aperçus une forme au loin. Accélérant, porté par l'intrigue, je parvenais au point où je l'avais remarqué lorsque je le vis. Lui qui avait créé toute mon histoire. Lui qui avait probablement déchiré mes feuilles dans un moment d'inadvertance de ma part. Je le pris dans mes bras frêles et long, il me scrutait de ses petits yeux ronds et perçants.
Le chien, cet animal à l'air sympathique m'avait donc désespéré pendant si longtemps. Une question me taraude toutefois : comment avait-il pu créer ces taches, effacer ces passages? Il aurait très bien pu marcher dans l'encrier puis aller sur la feuille et la souiller. Mais un chien n'est guère très habile de ses pattes. De plus, pourquoi aurait-il eu l'envie de se distraire de la sorte. Il est, je l'avoue, un peu agité, cependant il doit sûrement se douter que je m'agacerais à cause de cette entrave aux règles. L'animal doit aussi savoir que la sentence pour cette faute serait le bannissement temporaire du monastère. En effet, il a horreur de cela.
Depuis quelque semaines, la pièce où siège le bureau lui est interdite à cause des événements précédents. Seulement, les incidents se perpétuent encore, bien qu'atténués. Alors, une question reste en suspens : est-ce lui l'auteur de ces actes ? C'est peu probable mais c'est la seule explication rationnelle.